Suisse | Heidi chez les BRICS+ ?
La Suisse demandera-t-elle son adhésion aux BRICS+ ... tout en renforçant ses liens avec l’UE et l’OTAN ? La néo-neutralité suisse ? LEAP facilitait déjà le Euro-BRICS Youth Platform en 2016...;)
Alors que le nouveau monde (emmené par les BRICS) s’émancipe de l’ancien, la Suisse, pas très enthousiaste à l’idée de rejoindre l’UE, est embourbée dans une triple crise identitaire, réputationnelle et de confiance.
Le peuple suisse a besoin de positif, de constructif et de (re)prendre sa destinée en mains. La Suisse demandera-t-elle son adhésion aux BRICS, une alliance en pleine expansion qui vient de dépasser le G7 en PIB (31,5% vs 30,7% du PIB mondial) ?
L’ouverture d’une réflexion à l’occasion des prochaines élections fédérales 2023 devrait faire sens. Lucidité, anticipation, intelligence et pragmatisme. Realpolitik ?
Wild card ? pas sûr car le LEAP, le Laboratoire Européen d’Anticipation Politique participait en 2016 déjà à la Plate-forme Jeunesse Euro-BRICS…
Par Christopher CORDEY fondateur de futuratinow un cabinet-conseil en IDEATION, anticipation stratégique et accompagnement au changement. | Associé chez Yonders | Initiateur de prosilience. | Membre de la commission économique de l'ARCAM.1
Co-auteur de "Heidi réveille-toi : la Suisse est-elle tombée dans les pièges du succès ? " (Slatkine, 2014). Version allemande “Aufwachen !” (EuropaVerlag, 2015)
“Mesdames et Messieurs, chers passagers. Pour des raisons financières, Swi(tzerland)ssair n’est plus en mesure d’assurer ses vols.” (*)
La succession de scandales - très souvent au cœur du secteur bancaire anormalement surveillé … - a fini par saper la confiance, le crédit et la réputation de la Suisse. Flashback : 1998 l’affaire des fonds juifs en déshérence ; 2001 grounding de Swissair ; 2008 tragédie de l’UBS ; 2014 fin du secret bancaire ; 2020 perte de Syngenta au profit de la Chine ; 2023 débâcle « du monument bancaire au cœur de la construction du pays depuis 1856 », le (dorénavant mal nommé) Crédit Suisse.
Alors que Présence Suisse se démène pour vanter « la diversité du pays, ses paysages magnifiques, ses projets innovants et ses idées pour un avenir durable» notamment, à l’occasion de l’expo Dubaï 2022, la perte 2022 de la Banque Nationale Suisse culmine à 132 milliards de CHF, l’Etat de droit est bafoué et la FINMA (l'autorité de régulation des marchés financiers) demande à posteriori plus de compétences en matière de sanctions.
A cette image de « république bananière », d’un pays dépassé, déboussolé et arrogant s’ajoute la montée des rancœurs envers les élites bancaires et les autorités politiques; mais aussi les fragilités psychiques, notamment, des jeunes et des adolescent.e.s suisses, le pessimisme envers l’avenir (68% des familles suisses), leurs préoccupations financières (42 % peinent pour faire vivre l’ensemble de la famille) et le niveau d’endettement des ménages (130 % du PIB) le plus élevé au monde.
A ce panorama pourraient se rajouter les questionnements sur la tradition des bons offices de la Suisse, les fragilités cybernétiques et les tourmentes financières au sein du CICR, l’un des organes de prédilection du « soft power suisse ».
Certes la Suisse ne montre pas les caractéristiques d’un pays en déliquescence, la confédération peut se flatter de l’organisation de l’Euro féminin en Suisse en 2025 et Présence Suisse continuer à vanter nos nombreux atouts à l’international.
Sauf que la réalité est parfois cruelle : dans le pays des horlogers et des banquiers suisses, Heidi a oublié d’agir intelligemment à temps.
Saisira-t-elle sa chance à l’occasion du moment géopolitique des BRICS ?
Nota Bene - 2 mai 2023 - je viens de l’apprendre…
Afin de renforcer la justesse de cette réflexion, le LEAP, le Laboratoire Européen d’Anticipation Politique avait participé en 2016 déjà à la Plate-forme Jeunesse Euro-BRICS, dont notamment dans le cadre du lancement de la présidence Indienne des BRICS à l’occasion de la semaine Euro-BRICS le 30 Avril 2016 sur le thème : Le rapprochement Euro-BRICS: un outil pour relever les défis du monde multipolaire.
Pour en savoir plus sur cette initiative avec la jeune génération : Euro-BRICS
Heidi chez les BRICS+ ?
La Suisse n'a pas de « relation formelle », ni ne participe aux processus décisionnels avec les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) mais elle entretient des relations commerciales et d'investissement et à signé des accords bilatéraux avec l’ensemble des membres fondateurs. Elle participe également à des forums et à des organisations qui incluent les BRICS, tels que l'OMC ou le G20, où ils peuvent interagir et collaborer sur diverses questions économiques et mondiales.
En ce printemps 2023 les BRICS vivent leur moment géopolitique en se positionnant comme une alternative à l’Occident. Preuve en est la récente visite du nouveau président brésilien Lula, qui après toutefois un premier voyage à Washington, a pris le chemin de Beijing. Ses déclarations - dont l’idée de mettre fin à la domination du dieu dollar sur la finance mondiale - montrent qu’il n’a pas perdu sa vision d’un monde post-occidental, dans lequel les BRICS occuperaient une place centrale.
Très très très succinctement, en devenant hypothétiquement la 1ère nation européenne à demander son adhésion (serait-elle admise ?) dans ce club d’économies de moins en moins émergentes, la Suisse pourrait
réaffirmer son flair en matière de realpolitik, comme elle l’avait fait en 1949 à l’occasion de la reconnaissance officielle de la Chine.
redorer sa tradition de bons offices au sein d’une alliance en expansion et à la diversité culturelle croissante comme en témoigne les demandes d’adhésion issues de plusieurs continents notamment l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, l’Egypte, l’Algérie, le Nigéria, l’Argentine et le Mexique.
contribuer à s’assurer des accès privilégiés (ressources, marchés, technologies, etc) afin de réduire certaines de ses dépendances (?) et ainsi contribuer à maintenir (au mieux) la qualité de vie des citoyens
gagner un accès plus direct à plus de 35 pays membres de diverses alliances telles le SACU, le SARC, le China-Asean FTA, l’EEU et le Mercosur, comme envisagé en 2017 dans un document publié par le Club Valdai et
éventuellement améliorer ses relations avec ses voisins de l’UE, des voisins qui pourraient voir d’un bon œil (?) la présence formelle de la Suisse au sein des BRICS+.
Certes
le “trou de souris géopolitique” est probablement un peu exigu compte tenu de notre situation géographique et de notre histoire, du faible niveau de notre self confidence, de nos attaches historiques à l’architecture occidentale (dont le parapluie sécuritaire USA/OTAN) et de nos relations avec les pays de l’UE.
cette hypothétique demande d’adhésion pourrait susciter d’amicales pressions pour nous en dissuader, sauf que
la question est de savoir si nous avons encore le choix de louvoyer, d’attendre, de patienter alors que le nouveau monde s’émancipe de l’ancien sous nos yeux à une vitesse phénoménale, comme le réaffirme le GEAB 174 dans son édition du 15 avril 2023 ?
Élections fédérales 2023 en ligne de mire.
A l’aube des prochaines élections fédérales 2023 voici quelques pistes de réflexion - pas toutes nécessairement nouvelles - qui pourraient enrichir le débat démocratique.
1. Continuer de résister, se replier et subir ? A l’image du camp d’irrésistibles gaulois – embourbés dans nos croyances et bercés de nos illusions. Le syndrome de l’Autruche comme évoqué en 2014 déjà dans “Heidi réveille-toi ! La Suisse est-elle tombée dans les pièges du succès ? Avec quel avenir ?
2. Rejoindre formellement l’Union Européenne ? Une UE dans le doute, fragilisée, trop lourde, trop empêtrée, peu démocratique et pour laquelle la Chine n’a aucune considération géopolitique. Avec quels bénéfices ?
3. Resserrer et renforcer (au mieux) nos liens avec l’UE et l’OTAN ? Dont notre présence dans le Partenariat Pour la Paix (PPP), une structure d'association libre bilatérale entre un État et l'OTAN, sans toutefois y adhérer ?
4. Changer de paradigme ? C’est à dire débuter une réflexion sur l’opportunité d’une adhésion de la Suisse aux BRICS+ ?
La 4è piste aurait le mérite de contribuer à renforcer notre main, mais aussi à nous projeter dans l’avenir pour nous extirper de la triple crise identitaire, réputationnelle et de confiance dans laquelle nous sommes embourbés.
Alors que le peuple suisse n’est pas enthousiaste à l’idée de rejoindre l’UE préférera-t-il envisager de rejoindre les BRICS+ exprimant ainsi La Realpolitik 5.0 qui émerge dans certaines capitales européennes ?
La Realpolitik 5.0. ce vent nouveau qui se renforce.
Selon Machiavel, le bon prince doit être celui qui s’adapte le mieux aux événements (la fortuna) et qui sait les prendre en main (la capacité de virtu) pour son royaume et son peuple. En cela il est précurseur de la Realpolitik car il enseigne que les bons gouvernants sont ceux qui savent voir venir les changements et qui savent le mieux les négocier sans préjugés moraux.
La Realpolitik 5.0 s’infiltre au sein de certaines capitales européennes prêtes à défendre leurs intérêts nationaux et pour qui l’option d’une éventuelle guerre généralisée n’en est pas une.
Preuve de cette évolution les derniers commentaires du président français sur la nécessaire autonomie stratégique de l’UE et sa supposée vassalité envers le grand frère américain, des propos soutenus par le président du Conseil européen pour qui l'UE ne peut pas suivre aveuglément et systématiquement Washington.
Relevons qu’au milieu du Macron-bashing les auteurs du blog Lost in Europe pensent que
«Cela suscite de l'emportement uniquement chez ceux qui font comme si les intérêts américains et européens étaient les mêmes. ... Macron fait mouche sur ce point. ... Il a également raison de penser que l'Europe doit lutter pour son 'autonomie stratégique' et pour un 'troisième pôle' dans ce nouvel ordre mondial multipolaire. Que faire d'autre ? ... »
alors que Günther Maihold, directeur adjoint de l'Institut allemand pour les affaires internationales et de sécurité (SWP) affirme lui, en parlant des BRICS, que
"Le mythe fondateur des économies émergentes s'est évanoui" ajoutant même que "Les BRICS vivent leur moment géopolitique".
Et maintenant ? Lucidité, anticipation, intelligence et pragmatisme.
L’ouverture d’une réflexion (une Wild Card certes) autour d’une éventuelle demande d’adhésion de la Suisse (ou à minima d’un renforcement de ses relations) - aux BRICS pourrait faire sens apportant ainsi la nécessaire bouffée de positif, de constructif et d’avenir dans une Suisse un peu K-O.
Ce sera bien sûr aux autorités politiques suisses élues et aux administrations de s’adapter aux nouvelles réalités géopolitiques, la défense des intérêts suisses bien ancrée dans leurs réflexions, anticipations et actions.
Ceci étant la responsabilité incombe au peuple suisse de ne pas se laisser imposer des thématiques, certes importantes voire vitales pour certains partis, mais relativement anxiogènes et régressives à l’occasion des prochaines élections fédérales.
La responsabilité du peuple suisse étant, in fine, d’élire celles et ceux qui représenteront ses intérêts avec lucidité, anticipation, intelligence et pragmatisme. A cet égard, les médias suisses, les partis politiques et les organisations faîtières auront un rôle majeur.
Lire aussi Signaux faibles : brèves d’un monde qui change du 15 juin 2022
du GEAB 166
(*) Cette annonce qui résonne dans les haut-parleurs de l’aéroport de Zurich le 2 octobre 2001 restera dans les livres d’histoire. C’est le moment où le public suisse en prend conscience: Swissair c’est fini.
Merci à mes deux collègues Marie-Hélène CAILLOL, présidente du Laboratoire Européen d’Anticipation Politique et Fabienne GOUX-BAUDIMENT, prospectiviste chez proGective pour leurs avisés conseils. ;)