#rethink : Les silhouettes de la faim
Virage pharmacopolitique en vue ? Faim, libido, anxiété, sommeil : une nouvelle politique du corps sous influence moléculaire.
Et si le pouvoir ne s’exerçait plus à travers des lois, des polices ou des slogans, mais par des molécules ?
À l’intersection de la biopolitique foucaldienne, de la pharmacologie comportementale et des crises systémiques contemporaines, la pharmacopolitique désigne une potentielle nouvelle forme de gouvernance qui ne cherche plus à encadrer les corps mais à reprogrammer leurs fonctions internes - faim, désir, humeur, libido, obéissance.
2030-2035 : Dans un monde saturé de pénuries, d’instabilités psychiques et de dérèglements climatiques, l’ordre social ne passe plus par la distribution de biens, mais par la modulation neurochimique des besoins, dont la faim (Ozempic, Zegowy) par exemple. Ce concept émergent mérite une attention critique.
Scénario dystopique.
Au début des années 2030, une série de catastrophes agricoles globales - causées par des dérèglements climatiques extrêmes, des effondrements écosystémiques régionaux (pollinisation, dégradation des sols, épuisement de l'eau douce) et des conflits géopolitiques autour des voies d'approvisionnement - provoque une crise alimentaire systémique et prolongée. Les prix des denrées explosent, les famines éclatent, et les puissances agricoles (Chine, Inde, États-Unis, Brésil, etc) deviennent les nouveaux centres de conflit global.
Dans ce contexte, les grandes puissances occidentales, à court de leviers pour assurer la sécurité alimentaire de leur population, opèrent un virage pharmacopolitique1 : plutôt que de nourrir, elles décident de réduire les besoins physiologiques des populations.
Le pivot technologique
Les traitements anti-obésité de nouvelle génération, héritiers des premiers succès de l’Ozempic (GLP-1 agonistes), sont perfectionnés et reprogrammés non plus pour soigner, mais pour supprimer durablement la sensation de faim. Certains variants inhibent même la production de ghréline (hormone de l’appétit) sur le long terme, reconfigurant le métabolisme humain vers un état de consommation minimale.
Les États, sous pression, instaurent des politiques de rationnement inversé : des crédits alimentaires négatifs, où chaque citoyen se voit imposer une limite maximale de calories hebdomadaires. Pour la respecter, il devient quasi nécessaire d’utiliser ces "coupe-faims d’État", subventionnés, voire obligatoires. Leur refus entraîne la perte de certains droits sociaux.
“Les rebelles sont ceux qui mangent encore, qui digèrent,
qui transpirent, qui résistent à l’effacement.”
Mutation de la société
Une nouvelle norme corporelle émerge : la maigreur extrême n’est plus un symptôme, mais une vertu civique. L’anorexie devient une forme de loyauté à l’État, de discipline morale et écologique.
Lire l’article “ Global Anorexie 2030 : de l’Ozempic à la Grande Désincarnation de l’Humain (GDH) “ dans le Global Europe Anticipation Bulletin #196 - juin 2025.
On parle alors de "bio-ascétisme patriotique". La frugalité devient spectacle, et les plus vertueux sont ceux qui arrivent à vivre avec 400 kcal/jour grâce à des cocktails pharmacologiques.
Dans les couches les plus intégrées de la société, un mouvement transhumaniste émerge : pourquoi se limiter à réduire l’appétit quand on peut se libérer du corps biologique ? Ainsi naît une tendance à la dématérialisation volontaire, d'abord cognitive (via neuro-interfaces), puis corporelle (transfert partiel de conscience, existence virtuelle prolongée), vendue comme ultime solution à la crise des ressources.
Le cadre dystopique
L’humanité bascule dans un monde où le contrôle de la faim devient le principal levier de stabilité sociale, où la maigreur est un attribut politique, et où l’autodissolution corporelle est récompensée. La violence d’État n’est plus militaire, mais métabolique et neurochimique. Les rebelles sont ceux qui mangent encore, qui digèrent, qui transpirent, qui résistent à l’effacement.
A suivre
Dans un monde saturé de crises, de récits concurrents et de corps fragilisés, un nouveau mode de gouvernance pourrait émerger - plus insidieux, plus efficace, et presque imperceptible. En combinant pharmacopolitique et guerre cognitive, les États (ou des acteurs non-gouvernementaux) seraient en position de ne plus imposer l’ordre :
ils l’incarneraient chimiquement et l’infuseraient mentalement. A suivre.
La pharmacopolitique désigne un mode de gouvernementalité où le pouvoir politique s'exerce par le biais du contrôle, de la diffusion, de l'obligation ou de la restriction de substances pharmacologiques au sein d'une population. Elle s’inscrit dans la continuité des concepts de biopolitique (Foucault) et thanatopolitique, mais spécifiquement centrée sur la gestion des corps, des émotions et des comportements à travers les molécules.
////// La biopolitique est un concept introduit par Michel Foucault dans les années 1970 pour décrire une nouvelle forme de pouvoir propre aux sociétés modernes, qui ne s’exerce plus uniquement sur les territoires ou les lois, mais directement sur la vie biologique des populations. La biopolitique, c’est le passage d’un pouvoir qui fait mourir ou laisse vivre à un pouvoir qui fait vivre et laisse mourir. Michel Foucault, Il faut défendre la société (1976)
////// La thanatopolitique désigne une forme de pouvoir politique qui s'exerce non pas en favorisant la vie, mais en organisant la mort. Il s'agit d'une inversion du concept de biopolitique développé par Michel Foucault, où le pouvoir vise à "faire vivre et laisser mourir". Dans la thanatopolitique, le pouvoir prend la forme de "faire mourir ou laisser mourir", en décidant activement quelles vies sont dignes d'être vécues et lesquelles peuvent être sacrifiées. stuartjmurray.com
Ce concept a été approfondi par des penseurs comme Giorgio Agamben, qui introduit la notion de "vie nue" (nuda vita) pour décrire des individus dépouillés de droits politiques, exposés à la violence sans protection juridique, comme les détenus des camps de concentration. Achille Mbembe, quant à lui, développe la notion de nécropolitique, mettant en lumière comment le pouvoir moderne décide de la vie et de la mort, notamment dans les contextes coloniaux et postcoloniaux. fr.wikipedia.org+1europhilomem.hypotheses.org+1