Europe | La France veut muscler les capacités de résilience de la société; la Suède mobilise ses civils; la Suisse (doit) se prépare(r).
Flashback
« Une armée ne se bat pas pour elle-même », rappelait récemment le chef d’état-major des armées, le général Thierry Burkhard, en écho à la résistance ukrainienne unanimement considérée comme un modèle par ses pairs occidentaux. Mais alors que dans certains pays baltes ou en Suède, le déploiement d’une « défense civile » est en train de s’imposer depuis le début de la guerre en Ukraine, en France, ce travail autour des « forces morales », comme on préfère les appeler, reste encore très embryonnaire.
Sur le papier, cette capacité à surmonter l’adversité est un vœu cher à Emmanuel Macron et l’un des axes principaux de la future loi de programmation militaire (LPM) qui doit être adoptée d’ici à l’été. La question de la « résilience » a fait l’objet d’un rapport parlementaire complet publié à la veille du début de l’invasion russe en Ukraine, en février 2022. Mais comme ces « forces morales » relèvent aussi d’un ensemble de mesures relativement onéreuses et que les négociations sont âpres autour de la LPM, les décisions tardent. « On n’a pas l’urgence des pays du Nord », tempère un officier, tout en regrettant la situation.
Conventions avec des entreprises
Selon les plans actuels, la concrétisation des « forces morales » à la française doit principalement passer par un doublement de la réserve nationale, composée d’environ 40 000 personnes (24 500 dans l’armée de terre, 6 500 pour la marine et autant pour l’armée de l’air). Un objectif maintes fois rappelé par le ministre des armées, Sébastien Lecornu – lui-même réserviste dans la gendarmerie –, qui y tient beaucoup. Mais si les armées s’appuient depuis longtemps sur une partie de leurs réservistes pour boucher les trous et capter certaines compétences, notamment dans le numérique, « la réserve a toujours été perçue comme un système qui pompe de l’argent et qui n’est pas très sérieux », rappelle un bon connaisseur.
Le passage éventuel à une réserve d’emploi, déployable plus largement en opérations, devra donc se traduire par de gros réajustements dans le recrutement et des adaptations réglementaires. « Si la réserve est appelée à avoir un autre concept d’emploi qu’aujourd’hui, il faudra dire lequel », prévient la même source. La création d’« unités territoriales » fait partie aujourd’hui des objectifs actés dans la LPM, a assuré, le 13 février, le chef d’état-major de l’armée de terre, le général Pierre Schill, devant l’Association des journalistes de défense. Le doublement de la réserve pourrait néanmoins l’obliger à y consacrer 2 000 de ses effectifs. Se pose enfin la question de l’équipement de ces réservistes.
Suite ici
La Suède se prépare à la guerre et mobilise les civils
Revenue en haut de l’agenda politique après l’annexion de la Crimée par la Russie, la défense civile se renforce depuis l’invasion de l’Ukraine. Le pays s’organise pour faire en sorte que ses habitants résistent en cas de conflit.
Ils étaient 404 218, le 31 décembre 2022, 16 % de plus qu’en juin. Militaires de carrière et réservistes, fonctionnaires, conducteurs de bus ou aides maternelles, tous ont reçu leur « affectation de guerre ». Si la Suède est attaquée, ils savent ce que l’on attend d’eux. Pour la plupart, comme les salariés de la télévision et de la radio publiques notifiés en octobre 2022, ils devront continuer à travailler à leur poste, jugé critique pour le fonctionnement de la société. D’autres sont sélectionnés pour leurs compétences spécifiques.
A chacun, il est demandé de faire preuve de discrétion. Car il en va de la défense civile du pays, en pleine résurrection, après une longue parenthèse de près de trois décennies, pendant laquelle « on a voulu croire à la paix éternelle », ironise Marinette Nyh Radebo, chargée de la communication auprès de l’agence de recrutement des forces armées suédoises. Cet organisme tient les registres des affectations, et s’assure qu’il n’y a pas de doublon. « Quand la police nous a envoyé ses listes, nous avons découvert que plusieurs milliers de gardiens de la paix étaient réservistes », affirme Mme Nyh Radebo.
La mobilisation ne fait que commencer. A titre de comparaison, en 1992, le pays, qui comptait alors 8,5 millions d’habitants (contre 10 millions aujourd’hui), pouvait en réquisitionner 2,2 millions dans le cadre de sa défense civile, en plus d’un million appelés à rejoindre l’armée. Pour les autres habitants, âgés de 16 à 70 ans, sans affectation, pas question non plus de fuir : ils devaient poursuivre leur activité et pouvaient être mobilisés par l’agence nationale de l’emploi.
« Situation sécuritaire très grave »
Ce devoir de défense, tombé en désuétude à la fin du XXe siècle, a été rappelé aux 121 500 jeunes Suédois qui ont fêté leur 16e anniversaire en 2022. L’agence de la protection civile (MSB) leur a envoyé une lettre, pour les informer qu’ils faisaient désormais partie de la « défense totale » du royaume et avaient « l’obligation d’aider en cas de menace de guerre ou de guerre ».
Ce concept est revenu en haut de l’agenda politique en Suède en 2015, un an après l’annexion de la Crimée par la Russie. L’invasion de l’Ukraine, le 24 février 2022, lui a « donné une dimension entièrement nouvelle », témoigne Marcus Björklund, responsable de la planification auprès de la préfecture de Scanie, dans le sud du pays. La preuve : pour la première fois depuis 1947, le royaume a de nouveau un ministre de la défense civile, aux côtés du ministre des armées.
Suite ici