Eau |Le Rhône et les batailles de demain
La France hydrodominée. La Suisse hydrodominante. Electricité française d'origine nucléaire en hiver contre de l'eau suisse pour refroidir les centrales nucléaires et irriguer les terres arables ?
Face à son petit voisin alpin, la France est en position de puissance «hydrodominée». De quoi rendre nerveux ses responsables.
Dans le jargon, on pourrait le dire comme ceci: face à son grand voisin français, la petite Suisse est clairement «hydrodominante». Certes, cette situation n’est pas nouvelle: le Rhône, dont dépend la vie quotidienne de millions de personnes, a toujours coulé dans le même sens, des Alpes à la Camargue. Cette ressource, pourtant, n’a jamais été aussi «politique», comme le soulignent les responsables interrogés par Le Temps.
Tout y est.
D’un côté,
des débits d’eau altérés par le réchauffement climatique, par la fonte des glaciers, par des crues d’hiver anormales: un ensemble de causes qui rendent beaucoup plus difficiles les prévisions, la gestion et… la répartition.
De l’autre côté,
des besoins en eau qui risquent d’exploser: les réacteurs nucléaires français, dont Emmanuel Macron est devenu l’apôtre tardif dans sa volonté de moins dépendre des énergies fossiles, ont besoin d’être refroidis;
l’irrigation des cultures extensives, rendue plus indispensable encore par les sécheresses et par les pressions démographiques, est un gouffre sans fond.
De surcroît, l’eau du Rhône elle-même se réchauffe irrémédiablement, rendant tout l’exercice encore plus compliqué. C’est, en somme, un cas d’école des conséquences en cascade, si l’on ose dire, provoquées par la pression que nous faisons subir à l’environnement.
L'eau, source de vie
Dans ce rapport de force, la France «hydrodominée» est aussi nerveuse. Sa pression diplomatique monte face à ce voisin alpin, dont l’une des autres particularités consiste en ce que, ici, ce sont les cantons qui ont la main sur les «robinets» d’écoulement, et non la Confédération. En d’autres temps, une solution «simple» aurait sans doute pu s’imposer néanmoins entre les deux Etats: davantage d’eau et de garanties pour la France, davantage d’électricité d’origine nucléaire livrée à la Suisse, et le tour aurait été joué.
Mais les temps ont changé, et à la raréfaction de l’eau s’ajoute notamment la prise de conscience qu’un fleuve est aussi une entité qui recèle la vie, formée de biotopes particuliers et d’être vivants avec lesquels on ne peut jouer impunément en faisant varier les débits et les niveaux. Il s’agit de donner au Rhône sa propre existence, et d’éviter de le tuer.
Sur le plateau tibétain, lieu de naissance des principaux fleuves d’Asie; entre l’Ethiopie («hydrodominante»), le Soudan et l’Egypte; entre la Turquie et la Syrie («hydrodominée»); mais aussi entre Israël et la Palestine: la bataille de l’eau fait déjà rage, de manière plus ou moins féroce. Ce seront les guerres de demain. Et c’est aujourd’hui qu’elles doivent être prévenues.
Source : Le Temps