#adapt : RESILTECH : la prochaine filière stratégique de l’Europe (et de la Suisse) face aux chocs ?
Quand l’assurabilité et la continuité deviennent des enjeux industriels : la promesse RESILTECH. #BlueOceanStrategy. Compétition systémique.

Par Christopher CORDEY, futuriste-maïeuticien, facilitateur stratégique, conférencier international. Fondateur de futuratinow, un cabinet conseil en IDEAtion, anticipation stratégique et formation et de prosilience.ch. Associé de Gamingthefuture.world. Co-fondateur de Terracognita2089.eu. Co-auteur en 2014 avec Robert Salmon d’Heidi réveille-toi ! La Suisse est-elle tombée dans les pièges du succès ?. Auteur de “Le Congrés de 2049” (2025).
Pourquoi RESILTECH ?
Pendant deux décennies, la transition écologique a surtout été racontée comme une course à la décarbonation : produire une énergie plus propre, électrifier, améliorer l’efficacité. Ce récit reste indispensable. Mais il ne suffit plus à décrire la réalité opérationnelle à laquelle sont confrontés les territoires, les entreprises et les services publics : une multiplication de chocs (canicules, sécheresses, inondations, feux, tempêtes), combinée à des stress chroniques (tension sur l’eau, érosion des sols, vieillissement d’infrastructures, risques sanitaires) et à des interdépendances fortes entre systèmes (énergie–eau–transport–télécom–alimentation). L’IPCC, dans son cadre de climate resilient development, rappelle que la trajectoire soutenable dépend autant de l’adaptation que des choix de développement et de la justice sociale. IPCC
L'Europe n'est pas préparée à faire face à l’augmentation rapide des risques climatiques
L’Europe est le continent qui se réchauffe le plus rapidement et les risques climatiques menacent sa sécurité énergétique et alimentaire, ses écosystèmes, ses infrastructures, ses ressources en eau, sa stabilité financière et la santé de ses habitants. Selon l’évaluation de l’Agence européenne pour l’environnement (AEE) publiée aujourd’hui, bon nombre d…
Cette intensification des risques n’est pas seulement environnementale : elle est économique. Le signal le plus parlant est celui de l’assurabilité. Lorsque les pertes catastrophes augmentent et que les modèles de risque sont révisés, les primes montent, les franchises s’élèvent, et certaines zones deviennent progressivement difficiles à couvrir. Un rapport relayé par Reuters indique que les pertes assurées mondiales liées aux catastrophes naturelles sont projetées à 107 milliards de dollars en 2025, prolongeant une série d’années au-delà de 100 milliards, avec des effets directs sur les prix et la disponibilité de la couverture. Reuters. Cette dynamique crée un cercle : moins d’assurance, donc plus de risque porté par les ménages, les entreprises, les collectivités, et davantage de pression politique et budgétaire.
Enfin, un autre verrou apparaît : le financement de l’adaptation progresse trop lentement. Le PNUE estime que les besoins d’adaptation dans les pays en développement atteindraient 310 milliards $/an en 2035 (jusqu’à 365 milliards $/an selon une autre méthode), alors que les flux publics internationaux d’adaptation étaient d’environ 26 milliards $ en 2023. UNEP - UN Environment Programme. Ce décalage structurel pousse à chercher des solutions capables de produire de la valeur tangible : pertes évitées, continuité de service, réduction de sinistres, protection de la santé.
C’est dans ce contexte qu’émerge RESILTECH : non pas comme un slogan, mais comme la mise en cohérence d’un fait déjà visible sur le terrain. L’adaptation devient un marché industriel et un enjeu stratégique : qui maîtrise les outils, les données, les standards et la capacité à industrialiser des solutions de résilience aura un avantage compétitif, et une souveraineté accrue sur ses infrastructures critiques.
Qu’est-ce que RESILTECH ?
RESILTECH désigne un secteur de solutions qui visent à réduire de manière mesurable les vulnérabilités et les pertes liées aux chocs et stress, en combinant deux logiques complémentaires :
· Prosilience : anticiper, se préparer, se reconfigurer avant le choc, apprendre plus vite que le risque n’évolue.
· Résilience : tenir, absorber, se rétablir, maintenir une fonction essentielle.
L’idée centrale n’est pas “plus de technologie”, mais une technologie orientée résultat, capable de démontrer qu’elle améliore réellement la continuité d’un service, la sécurité, ou la réduction de dommages. Cette exigence rejoint des cadres déjà disponibles. Les normes ISO 14090 (principes et exigences de l’adaptation) et ISO 14091 (évaluation des impacts, vulnérabilités et risques) structurent précisément une approche “risques → options → décisions”, applicable à tout type d’organisation. ISO Du côté des organisations, la norme ISO 22301 offre un référentiel de continuité d’activité : identifier les risques, préparer la réponse, réduire les temps de reprise. ISO
Pour qu’une solution appartienne à RESILTECH, cinq caractéristiques distinguent le secteur d’une simple “boîte à outils” :
1. Finalité explicite : la solution répond à un risque concret (inondation, chaleur, rupture d’eau, incendie, indisponibilité réseau, etc.) et vise une fonction essentielle (eau potable, transport, santé, énergie, alimentation, habitat).
2. Mesurabilité : l’efficacité est démontrable (dommages évités, baisse de fuites, temps de rétablissement, disponibilité, réduction d’exposition).
3. Anticipation : la solution agit en amont (prévision, alerte, maintenance préventive, reconfiguration) plutôt qu’en simple réparation.
4. Sobriété et non-malfaisance : éviter la “maladaptation” (par exemple : déplacer le risque, accroître les inégalités, verrouiller des dépendances matérielles). L’approche européenne “Do No Significant Harm” (DNSH) fournit ici un garde-fou utile. European Commission
5. Gouvernance : données fiables, responsabilités claires, cybersécurité, auditabilité.
RESILTECH se distinguerait ainsi d’une partie de la “climate tech” centrée sur la baisse des émissions : son cœur de valeur est souvent local et immédiat (éviter une rupture d’eau, réduire des sinistres, protéger des personnes lors d’une canicule), ce qui change les acheteurs, les preuves attendues et les modèles économiques. La taxonomie européenne intègre d’ailleurs l’adaptation comme un objectif environnemental, avec des critères techniques et l’exigence DNSH, influençant la façon dont les projets peuvent être qualifiés et financés. EUR Lex
Comment fonctionne RESILTECH ?
Pour rester compréhensible, on peut décrire RESILTECH comme une chaîne d’action en cinq étapes, qui transforme un risque en décisions et en investissements robustes.
1) Observer : rendre le risque visible et comparable
Toute résilience commence par une évidence : on ne pilote pas ce qu’on ne mesure pas. Dans RESILTECH, l’observation couvre les capteurs (météo locale, humidité des sols, niveaux d’eau, température urbaine), la télédétection, et la qualité des données. L’enjeu n’est pas seulement d’avoir des mesures, mais des mesures fiables, standardisées, exploitables, capables d’alimenter des décisions publiques et privées.
Exemple concret : un syndicat des eaux peut déployer des capteurs de pression et de débit pour détecter des fuites et prioriser les réparations. Le bénéfice n’est pas “numérique” : il est hydrique, financier et social (moins de pertes, moins de rupture, meilleure continuité). La même logique vaut pour la chaleur : cartographier les îlots de chaleur urbains à une échelle fine permet de cibler les zones à fort risque sanitaire.
2) Comprendre et simuler : passer du constat au scénario
Deux territoires peuvent subir la même pluie extrême, mais produire des impacts très différents selon l’état des sols, l’urbanisation, l’entretien des réseaux, ou les protections existantes. RESILTECH investit donc dans la modélisation et la simulation, notamment via des jumeaux numériques : une représentation numérique d’un système réel (quartier, réseau d’eau, bassin versant) qui permet de tester “ce qui se passerait si…”. Dit simplement : un jumeau numérique sert à répéter l’avenir à faible coût avant qu’il ne se produise.
Dans une logique ISO 14091, cette étape correspond à l’évaluation structurée de la vulnérabilité et des risques, en intégrant les incertitudes. ISO. Le résultat attendu : des scénarios compréhensibles et comparables, qui éclairent les arbitrages (où investir en premier, pour quel gain de résilience).
3) Décider : prioriser et éviter la maladaptation
C’est souvent le maillon faible : même avec des données, la décision reste difficile, car elle engage des budgets, des conflits d’usage, et des questions d’équité. RESILTECH vise à rendre cette étape plus robuste grâce à des méthodes de priorisation et des indicateurs simples : pertes évitées, continuité de service, protection des populations vulnérables.
C’est aussi ici que le débat “technosolutionnisme vs low-tech” devient utile s’il est reformulé : l’enjeu n’est pas d’opposer, mais de choisir la combinaison la plus efficace et la plus sobre. Une solution “low-tech” (désimperméabilisation, ombrage, végétalisation, restauration de zones humides) peut être excellente ; une solution “tech” (capteurs, modélisation) peut être un amplificateur si elle réduit les erreurs de ciblage et améliore la maintenance. Le critère de vérité n’est pas l’étiquette, mais l’impact démontré, et l’absence de dommages collatéraux (DNSH). European Commission
4) Agir : transformer en infrastructures, opérations et comportements
RESILTECH devient tangible dans l’action : rénovation thermique adaptée à la chaleur, matériaux résistants au feu, protections contre les crues, gestion intelligente de l’eau, agriculture de précision, plans canicule, continuité ferroviaire et télécom, etc. Ici, le secteur ne se réduit pas aux “outils” : il comprend l’ingénierie, la mise en œuvre et l’exploitation.
Un point souvent oublié : la résilience dépend de l’opérabilité. Une solution doit être maintenable, réparée rapidement, comprise par les utilisateurs, et compatible avec des contraintes réelles (temps, compétences, budgets). C’est précisément l’esprit des cadres de continuité d’activité (ISO 22301) : préparer et organiser, pas seulement installer. ISO
5) Financer et assurer : prouver pour rendre bancable
Le verrou majeur de l’adaptation est la preuve. Les investisseurs et les assureurs peuvent être prêts à soutenir des mesures si elles réduisent les sinistres, mais ils ont besoin d’éléments empiriques robustes. RESILTECH a donc un rôle de “marché-infrastructure” : standardiser des indicateurs, produire des évaluations crédibles, et créer des modèles contractuels (contrats de performance, partage de gains, cofinancement avec l’assurance).
L’OCDE propose un cadre d’investissement pour l’adaptation visant à aider les gouvernements à lever les barrières, renforcer l’environnement politique et accélérer les investissements. OECD. Couplé aux exigences européennes (taxonomie, DNSH), cela dessine une trajectoire où RESILTECH pourrait devenir un langage commun entre ingénieurs, financiers, assureurs et décideurs publics. EUR-Lex
Vers une “Blue Ocean Strategy” européenne : RESILTECH comme secteur stratégique émergent ?
Positionner RESILTECH comme un secteur stratégique pour l’Europe revient à reconnaître une bascule : l’avantage compétitif ne se jouera pas uniquement sur la capacité à produire en masse des technologies bas-carbone déjà fortement disputées, mais sur la capacité à rendre nos sociétés assurables, opérables et sûres dans un climat plus instable et une compétition systémique féroce. www.prosilience.ch - 2025
L’Union européenne a déjà une base politique et réglementaire qui légitime ce pivot (stratégie européenne d’adaptation, intégration plus “systémique” de la résilience dans les politiques publiques). Climate Action
Face aux États-Unis et à la Chine, l’opportunité RESILTECH est différenciante pour trois raisons.
Premièrement, la proposition de valeur européenne est naturellement “système + confiance”. Là où la Chine excelle souvent par la vitesse d’industrialisation et les effets d’échelle, et où les États-Unis disposent d’une puissance d’innovation et de capital-risque, l’Europe peut se distinguer par la qualité des preuves, des standards et de la gouvernance : données robustes, auditabilité, cybersécurité, et compatibilité avec des exigences de durabilité (éviter la maladaptation, préserver l’environnement et l’équité). La taxonomie et les cadres d’adaptation poussent déjà dans ce sens en demandant de démontrer l’efficacité des approches et de ne pas causer de dommages significatifs. Blue Ocean Strategy
Deuxièmement, RESILTECH est une “Blue Ocean Strategy” plausible : un espace où la concurrence frontale n’est pas encore verrouillée, parce que la valeur ne vient pas seulement du volume, mais d’une innovation orientée résultats (dommages évités, continuité de service, assurabilité). C’est précisément l’idée de value innovation dans la Blue Ocean Strategy : créer un saut de valeur pour les utilisateurs tout en alignant coûts, utilité et modèle économique, de façon à rendre la concurrence moins pertinente. Blue Ocean Strategy. Dans RESILTECH, cette “innovation de valeur” peut prendre la forme de standards européens de mesure d’impact, de contrats de performance-résilience, ou de solutions hybrides combinant sobriété (nature-based/low-tech) et précision (capteurs, simulation) pour cibler juste et maintenir dans le temps.
Troisièmement, RESILTECH renforce une souveraineté concrète. La résilience n’est pas une abstraction : elle concerne l’eau, l’énergie, la santé, le ferroviaire, les télécoms, l’agriculture, les matériaux - autant de domaines où l’Europe possède des compétences d’ingénierie, d’exploitation d’infrastructures et de services publics. Transformer ces atouts en filière RESILTECH, c’est bâtir une voie européenne où la technologie est au service d’une capacité centrale : continuer à fonctionner malgré les chocs.
Cette conclusion ouvre surtout des questions stratégiques : l’Europe saura-t-elle faire de RESILTECH un avantage de long terme en fixant des standards mondiaux de preuve et de sécurité ? Comment éviter que la résilience devienne un simple marché d’outils, sans gains mesurables ni sobriété ? Et quel “pacte” entre territoires, industriels, assureurs et finance permettra de passer de projets pilotes à une industrie à grande échelle - sans perdre l’adaptation au local qui fait précisément la différence ?
Et la Suisse dans tout cela ?
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